À la rencontre des croix de Colombier
En cheminant le long des routes et des sentiers de Colombier, le promeneur à l’œil avisé ne manquera pas de remarquer les nombreuses croix qui parsèment le territoire communal. Si ces dernières sont certes un symbole chrétien, leur présence séculaire ainsi que leur haute valeur patrimoniale leur confèrent une portée universelle qui va bien au-delà du cadre strictement religieux. À travers un itinéraire qui mêle histoire et nature, nous vous proposons d’aller à la rencontre des croix de carrefour de Colombier.
Petite histoire des croix de chemins
Présentes dans les bourgs et lieux-dits de la plupart des communes françaises, les croix ont des origines et des fonctions très diverses. Appelées croix de chemins ou de carrefour par les historiens, elles pouvaient servir à baliser des territoires. De manière toute prosaïque, elles indiquaient aux voyageurs et pèlerins la route à suivre, ainsi que les frontières des différentes localités ou seigneuries. Les croix de carrefour remplissaient aussi une fonction protectrice contre l’inconnu, les maladies, les intempéries, etc. Selon certaines traditions locales, elles signalaient également aux lépreux les limites à ne pas franchir. Quelques âmes charitables y déposaient parfois de la nourriture à leur intention ainsi que pour les pèlerins
Situées aux intersections et aux confins des hameaux, les croix témoignent de la volonté du clergé de christianiser des zones empreintes de légendes aux forts relents de paganisme. Dans les croyances populaires, les carrefours sont en effet un lieu incertain, chargé de mystère et propice aux manifestations démoniaques ou aux apparitions de revenants. L’érection d’une croix demeure dans tous les cas un acte d’une grande portée spirituelle. Bénie par le prêtre, elle fait souvent l’objet d’un culte et joue un rôle central dans maintes manifestations : pèlerinages, processions, etc. À l’époque moderne, et notamment après le concile de Trente (1545-1563), de nombreuses croix sont élevées pour couronner le succès d’une mission religieuse et affirmer le caractère sacré d’un territoire ; elles symbolisent alors l’acte de foi des communautés villageoises.
Si la fondation des croix de carrefour est souvent le fruit de la volonté publique, elle résulte parfois d’initiatives privées. Dans ce cas, il s’agit de personnages puissants qui désirent proclamer leur foi ou manifester leur gratitude envers Dieu pour une faveur qu’ils ont obtenue. La croix s’apparente alors à un ex-voto et porte fréquemment une inscription mentionnant l’identité de son commanditaire.
Malgré une apparente immobilité qui semble défier les siècles, les croix de carrefour ont connu une histoire mouvementée. Ce fut notamment le cas durant la Révolution française où, dans un contexte de déchristianisation marquée et la volonté d’en découdre avec les symboles de l’ordre ancien, les croix ont souvent été prises pour cible par les révolutionnaires les plus zélés. Pierre Chevalier (curé de Colombier de 1839 à 1888) nous rapporte notamment l’anecdote suivante : en 1793, des sans-culottes en provenance de Montmarault s’étaient rendus à Colombier avec la ferme intention de vandaliser les croix. Après avoir rencontré le prêtre d’alors (le dénommé Jean Bertrand), ils se seraient finalement “contentés” d’ôter les croisillons de plusieurs croix, dont ceux de la croix Sainte-Catherine. Selon une autre version, les deux sans-culottes auraient été distraits par l’aubergiste du village qui, les ayant fait boire tant et plus, les aurait mis dans l’incapacité d’accomplir pleinement leur mission.
Les croix de Colombier
Bien que les vicissitudes de l’histoire aient entraîné la disparition de plusieurs d’entre elles, la commune de Colombier compte encore neuf croix de carrefour. Profitons de l’occasion pour les présenter.
La croix Sainte-Catherine
Aujourd’hui abritée à l’intérieur de l’église Saint-Patrocle afin de la protéger de l’érosion, la croix Sainte-Catherine s’élevait avant 1950 au bas du bourg, sur la route qui mène à Commentry. Richement décoré, ce monument en grès du XVIe siècle nous a été légué par un personnage nommé Antoine Trésorier. Décédé en 1547, ce dernier était le «vicaire et gouverneur de l’Hôtel-Dieu de Colombier», soit l’hôpital Saint-Antoine. La croix Sainte-Catherine repose sur un socle mouluré portant une sculpture sur sa face sud. Celle-ci représente Antoine Trésorier en position de prière. Un ange aux ailes déployées se tient derrière lui. Devant le donateur, figure un phylactère sur lequel est écrite une inscription latine signifiant “Louange, honneur et gloire au Christ.” L’observateur attentif pourra également déchiffrer sur le socle, presque effacées, les initiales ATP pour “Antoine Trésorier Prêtre”. En dépit des outrages du temps, il est encore possible d’admirer les riches sculptures qui ornent chacune des quatre faces du fût de la croix :
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- Côté sud : sainte Catherine, le buste de l’apôtre Paul, la tentation d’Adam et Ève.
- Côté est : saint Patrocle, Marie-Madeleine, les saints Innocents.
- Côté nord : saint Pierre, saint Michel, un mystérieux personnage barbu (il pourrait s’agir de Saint Louis ou du roi David) à côté de trois arbres.
- Côté ouest : saint Jean-Baptiste, saint Antoine le Grand (représenté, comme le veut la tradition, accompagné d’un cochon et portant une clochette).
La croix du haut du bourg
Trônant au centre d’une petite place située en haut du bourg, à gauche de la route menant à Lapeyrouse, cette croix compte parmi les plus remarquables que possède la commune de Colombier. Elle figure d’ailleurs à l’inventaire des monuments historiques depuis 1931. Une inscription gravée sur les trois faces du bahut nous apporte de précieux renseignements sur son histoire. On peut y lire ceci : «L’an 1529, Messire Antoine Trésorier, prêtre, fit faire cette croix. Priez Dieu, tous passants, pour lui». La croix du haut du bourg se distingue notamment par la présence d’un squelette sculpté en relief sur la moulure supérieure du bahut. Les représentations de cette nature sont typiques de la sensibilité macabre des XVe et XVIe siècles. Faisant office de Memento Mori (“Souviens-toi que tu vas mourir”), les squelettes et autres gisants ornant les œuvres d’art possèdent une forte charge symbolique. Ils s’inscrivent dans une pastorale chrétienne qui insiste sur la nécessité de préparer son Salut ici-bas. Chacune de ces sculptures rappelle aux passants la fugacité et la vanité des plaisirs terrestres face à la vie éternelle. Sur la partie inférieure du bahut, à l’angle nord-ouest, se dévoilent également, de manière presque imperceptible, les vestiges d’une ancienne sculpture qui devait représenter sainte Catherine.
La croix du cimetière
Il s’agit d’un calvaire qui surplombe le monument aux morts de Colombier. D’après l’abbé Bajaud, ancien curé de la commune, ses origines remonteraient à l’année 1758. Jadis élevé dans l’ancien cimetière sur la place de l’église, il fut transféré dans le nouveau en 1919. Aux pieds du Christ en croix, on reconnaît Marie et saint Jean. La base du calvaire abrite également une petite niche à l’intérieur de laquelle se détache le buste d’une femme.
La croix du Mont
Au hameau du Mont, les promeneurs pourront admirer une croix aux proportions harmonieuses, taillée dans un unique bloc de grès. Sa particularité réside dans les traces d’usure que l’on observe sur son fût. Elles proviendraient de l’aiguisage d’outils durant des générations successives ou du frottement des chaînes d’animaux attachées naguère au fût. Outre l’aspect purement matériel, une telle pratique atteste de la croyance populaire dans les vertus bénéfiques et propitiatoires (qui attirent la bonne fortune) des croix de chemins. Les communautés villageoises s’appropriaient ces dernières à travers des rites mêlant profane et religieux.
La croix de la fontaine Saint-Patrocle
À proximité de la fontaine Saint-Patrocle, se dresse une croix de pierre dont le fût octogonal a fait l’objet de travaux de restauration en 1946. Il est supporté par une base rectangulaire sur laquelle on pouvait autrefois discerner, gravée dans la pierre, la date de 1752.
La croix de Beauvoir
Jadis en bois, la croix du hameaux de Beauvoir est scellée à l’intérieur d’une imposante pierre brute. Elle a été refaite en fer par les soins de M. René Gidel, d’après un dessin réalisé par son oncle, l’abbé Paul Gidel.
La croix de Pars
Joliment ouvragée, elle nous a généreusement été léguée par un habitant de la commune au cours des années 2000. Il existait autrefois une autre croix dans le hameau de Pars (en accord avec l’orthographe traditionnelle, nous avons choisi d’écrire le nom du hameau avec un “s” final). Cette dernière a été enlevée lors de l’élargissement de la route menant à Beauvoir dans les années 1960.
La croix du bas du bourg
D’une sobriété tout élégante, elle a été érigée pour remplacer la croix Sainte-Catherine après son transfert dans l’église. Son fût est établi sur un socle en pierres apparentes de forme rectangulaire.
La croix du prieuré
Cachée derrière l’abri de bus sis à proximité du prieuré, cette croix a été offerte à la commune par M. Raymond Renon. Fabriquée en métal, elle se caractérise par un style simple et épuré. Élevée au tournant des années 1960-1970, elle a remplacé l’ancienne croix située en face de l’église. Celle-ci avait en effet été dégradée lors d’une fête à Colombier par de jeunes gens passablement éméchés. On avait en outre, à l’époque, jugé qu’elle empiétait sur la voie publique et gênait la circulation.